Souvent présenté comme un vecteur de paix, le sport n’est jamais totalement apolitique. Depuis toujours, il est utilisé par les États comme un outil d’influence, un canal diplomatique ou un espace de confrontation symbolique. Jeux Olympiques, Coupes du monde ou affrontements individuels deviennent autant de scènes où se jouent des enjeux de géopolitique sportive bien plus vastes que la simple victoire sportive.
Le sport, miroir des tensions internationales
De la Guerre froide aux tensions contemporaines, les compétitions sportives ont souvent été le théâtre d’affrontements géopolitiques. Dans les années 1980, les boycotts des Jeux olympiques de Moscou (1980) par les États-Unis, puis de Los Angeles (1984) par l’URSS, illustrent parfaitement la manière dont le sport sert parfois de prolongement aux oppositions idéologiques.
Plus récemment, l’exclusion des équipes russes après l’invasion de l’Ukraine en 2022 montre que les sanctions politiques s’appliquent désormais aussi au monde du sport. Le CIO et plusieurs fédérations ont mis la pression sur les sportifs et les instances russes, provoquant des débats houleux sur la place du sport dans la sphère diplomatique.
Les grands événements comme vitrines de pouvoir
Organiser un événement mondial est devenu une stratégie géopolitique à part entière. La Chine a utilisé les JO de Pékin en 2008 pour affirmer sa puissance émergente. Le Qatar, en accueillant la Coupe du monde 2022, a cherché à se positionner comme acteur incontournable du monde arabe, malgré les critiques sur les droits humains ou l’environnement.
Le soft power sportif est désormais central dans la stratégie de nombreux États. L’Arabie saoudite investit massivement dans la F1, le golf, le football ou encore l’e-sport. Derrière cette offensive se cache une volonté de diversification économique (Vision 2030), mais aussi d’amélioration d’image internationale, en dépit d’un bilan critiqué sur les droits fondamentaux. On parle alors de « sportswashing ».
Des athlètes entre engagement et récupération
Les sportifs, de plus en plus exposés, peuvent être utilisés par les gouvernements comme symboles de grandeur nationale. Mais certains choisissent aussi de s’engager. En Iran, la grimpeuse Elnaz Rekabi a été acclamée pour avoir concouru sans voile, en solidarité avec les femmes en lutte. Aux États-Unis, Colin Kaepernick a mis un genou à terre pour protester contre les violences policières, un geste fort qui lui a coûté sa carrière en NFL.
Ces prises de position révèlent une nouvelle donne : les sportifs sont parfois des figures politiques à part entière, capables d’influencer l’opinion et d’incarner une cause. Mais leur parole est aussi récupérée, orientée, ou censurée selon les régimes et les contextes.
L’enjeu du drapeau et de la reconnaissance au cœur de la géopolitique sportive
Pour certains pays ou territoires, le sport est un moyen d’exister symboliquement sur la scène internationale. Le Kosovo, par exemple, a longtemps lutté pour faire reconnaître ses athlètes dans les compétitions officielles. La Palestine, bien que non reconnue par tous les États, participe à de nombreux événements sportifs. Le Tibet, lui, n’a pas cette possibilité.
Le choix du drapeau, de l’hymne, ou même du nom d’un pays peut devenir hautement sensible. La participation des athlètes russes sous bannière neutre, imposée après les scandales de dopage d’État, a créé un précédent. Il interroge sur la frontière entre responsabilité collective et liberté individuelle dans un contexte sportif.
Géopolitique sportive : un terrain d’influence pour les grandes puissances
Le sport est aussi un outil d’influence économique et diplomatique. La Chine finance des stades en Afrique, les États-Unis forment des entraîneurs dans plusieurs pays, et l’Europe exporte ses championnats. À travers les accords bilatéraux, les partenariats entre clubs ou la formation de talents, les grandes puissances affirment leur présence et leur modèle culturel.
Même les transferts de joueurs s’inscrivent parfois dans cette logique. Les clubs européens accueillent des joueurs venus de régions en crise, qui deviennent ensuite des ambassadeurs de leur pays. Certains gouvernements voient dans ces carrières internationales une source de fierté, mais aussi de dépendance économique.
Une diplomatie à double tranchant au sein de la géopolitique sportive
La « diplomatie par le sport », utilisée pour apaiser les tensions, a montré ses effets lors de moments symboliques, comme les JO de 2018 où la Corée du Nord et la Corée du Sud avaient défilé sous le même drapeau. Le « ping-pong diplomatique » entre les États-Unis et la Chine dans les années 1970 avait ouvert la voie à un réchauffement des relations.
Mais cette diplomatie peut aussi être superficielle. Les rencontres amicales, les messages de paix ou les événements conjoints ne suffisent pas à résoudre des conflits profonds. Le sport adoucit l’image, mais ne règle pas les causes.
Un monde du sport à repenser
Face à la mondialisation, aux crises politiques et aux ambitions étatiques, le sport ne peut plus prétendre être neutre. Il est un outil de pouvoir, d’influence et de projection. La question n’est donc plus de savoir s’il est politique, mais comment le rendre responsable et équilibré.
À l’heure où les grands événements se veulent inclusifs, durables et pacifiques, le défi est immense : préserver la beauté du jeu sans ignorer les réalités du monde qui l’entoure.