Escrime Une

Entre épée longue, histoire et sueur, regard sur l’escrime médiévale

Ils enfilent leurs gambisons, attrapent leur épée longue, ajustent leur masque grillagé. Face à face, ils croisent le fer comme au XIVe siècle, dans un bruissement d’acier et une concentration totale. Pourtant, nous ne sommes pas au cœur d’un film médiéval, mais bien dans une salle d’entraînement moderne. Les AMHE – Arts Martiaux Historiques Européens – séduisent chaque année davantage de passionnés, entre reconstitution, combat et quête de savoir. Un retour aux sources du combat, mais aussi une discipline complète, exigeante, et farouchement vivante.

Une discipline exigeante

Contrairement à une idée tenace, les AMHE ne sont pas une simple activité de cosplay ou de reconstitution. Il ne s’agit pas de « jouer au chevalier », mais bien d’étudier, de comprendre et de pratiquer les techniques de combat développées en Europe entre le XIIIe et le XIXe siècle. Cette pratique s’appuie sur des traités historiques – souvent écrits en latin, en allemand, en italien ou en français ancien – que les pratiquants traduisent, analysent et expérimentent.

Manier une épée longue, une rapière, une dague ou une hallebarde ne s’improvise pas. Les gestes sont codifiés, pensés pour être efficaces. Le but n’est pas de simuler un duel théâtral, mais de recréer une réalité martiale crédible, parfois brutale, toujours précise. Les AMHE sont à l’Europe ce que le kendo est au Japon ou le kung-fu à la Chine : une façon de faire revivre un patrimoine martial, mais aussi de s’éprouver physiquement et mentalement.

Epée longue, sabre… l’étude du geste ancien

Chaque école AMHE repose sur l’étude de traités anciens, appelés « fechtbücher » (livres de combat) ou « manuels de maîtres d’armes ». Johannes Liechtenauer, Fiore dei Liberi, Hans Talhoffer, George Silver : autant de noms devenus références dans le milieu. Ces maîtres, actifs entre le Moyen Âge et la Renaissance, ont consigné leurs techniques dans des manuscrits souvent énigmatiques, mêlant vers poétiques, dessins symboliques et instructions tactiques.

Lire ces textes, c’est entrer dans une autre logique. Une logique où le combat est à la fois une science du mouvement et un art de la stratégie. Le travail du pratiquant moderne consiste à traduire ces écrits, les mettre en perspective, puis à les appliquer sur le terrain, lors d’exercices ou de sparrings encadrés.

Ce dialogue permanent entre passé et présent donne aux AMHE une dimension intellectuelle singulière. C’est un art martial où l’on manie l’épée… mais aussi le dictionnaire.

Une pratique physique complète

Si l’on s’imagine parfois que les AMHE se limitent à quelques échanges stylisés entre passionnés d’histoire, on est loin du compte. L’entraînement est physique, intense, et les protections nécessaires rappellent celles de l’escrime sportive, voire du hockey. Les combats, appelés « sparrings », se font avec des simulateurs métalliques ou en nylon, sous contrôle, mais avec une réelle intensité.

Le pratiquant doit travailler son cardio, sa coordination, sa gestion de la distance, mais aussi sa lecture du jeu adverse. Le combat AMHE est moins explosif que le MMA ou la boxe, mais il repose sur une forme de lucidité technique constante. Il faut savoir improviser, saisir une ouverture, bloquer une attaque ou feinter avec justesse. Chaque duel devient un dialogue entre deux intelligences corporelles, nourries par l’histoire.

Une communauté en pleine expansion

Ces dernières années, les AMHE connaissent un véritable essor. On dénombre aujourd’hui des centaines de clubs à travers l’Europe, l’Amérique du Nord et même l’Asie. Des compétitions internationales voient le jour, comme le « Dynamo Cup », le « Swordfish » ou les « Hema Ratings ». Les règles varient selon les armes et les écoles, mais l’esprit reste le même : croiser le fer dans un cadre respectueux, sécurisé, mais exigeant.

Cette croissance est portée par une communauté passionnée, mêlant historiens, sportifs, enseignants d’arts martiaux et simples curieux. Bien qu’elle fascine, l’épée longue n’est pas la seule arme pratiquée.  Il peut également y avoir le sabre, les armes vikings, ou encore les lances hoplitiques.

En somme, les AMHE attirent autant les amateurs d’histoire que les anciens pratiquants de judo ou de boxe en quête d’un nouveau défi. Et contrairement à certains sports de combat dominés par un archétype physique, les AMHE laissent une place à tous les profils : hommes, femmes, jeunes ou plus âgés, techniciens ou tacticiens.

Plus qu’un sport, une culture

Au-delà du simple entraînement, les AMHE invitent à réfléchir à la place du corps dans l’histoire. En manipulant ces gestes anciens, on prend conscience que le combat a longtemps été un savoir fondamental, transmis comme une forme d’éducation. Ce n’était pas qu’une affaire de guerre ou de violence, mais aussi de maîtrise de soi, de discipline, de prestige.

Pratiquer les AMHE, c’est renouer avec cet héritage, mais sans nostalgie. Car si le geste est ancien, l’approche est résolument moderne. Elle conjugue science du mouvement, exigence martiale et esprit de communauté. Loin d’un folklore figé, les AMHE sont une discipline en devenir, à la croisée du sport, de l’histoire et de la quête personnelle.