Dans un monde où l’endurance est reine, des coureurs repoussent les limites du corps humain sur des distances extrêmes. Mais à quel prix ?
Une distance qui défie la raison
Courir un marathon, c’est déjà un exploit. Alors courir 50, 100, voire 160 kilomètres en une seule traite, souvent en montagne ou en milieu désertique, relève d’un autre monde. L’ultramarathon fascine autant qu’il interroge. Pourquoi ces athlètes choisissent-ils volontairement la souffrance, l’épuisement, parfois même le risque médical, pour franchir des distances qui semblent déraisonnables ?
Les ultramarathons, ou « ultras », commencent là où le marathon s’arrête. Tout ce qui dépasse les 42,195 km entre dans cette catégorie. Certaines courses sont chronométrées (24 heures, 6 jours), d’autres définies par un parcours fixe (Ultra-Trail du Mont-Blanc, Marathon des Sables, Western States 100…). Et pour les participants, il ne s’agit pas seulement de courir, mais de survivre.
Une aventure intérieure
Ce qui distingue l’ultramarathon d’autres disciplines, c’est sans doute sa dimension mentale. L’effort est si long, si douloureux parfois, que les barrières physiques cèdent la place à une lutte psychologique intense. « C’est une méditation en mouvement », confie Anne, 43 ans, finisheuse de plusieurs 100 km. « On traverse des hauts, des bas, on affronte ses peurs, ses limites, et on découvre une force insoupçonnée. »
Les coureurs parlent d’un « trou noir » passé le 70e kilomètre, où le corps refuse d’avancer et où seule la volonté permet de continuer. D’autres évoquent des hallucinations, des moments d’extase, ou encore une lucidité aiguë. L’ultramarathon, c’est autant une épreuve sportive qu’un voyage intérieur.
Préparation extrême, logistique millimétrée
Pour arriver au bout d’un ultra, l’entraînement est capital. Il ne s’agit pas seulement de courir beaucoup, mais de courir intelligemment. Alternance de sorties longues, de travail en montée, de préparation mentale, de tests de nutrition… Tout est planifié.
La logistique joue aussi un rôle essentiel : ravitaillements, vêtements adaptés, gestion de la chaleur ou du froid, anticipation des blessures. « Sur une course de 24 heures, on pense en permanence à s’hydrater, à s’alimenter, à économiser son énergie », explique Malik, habitué des courses en autonomie complète. « Le moindre détail peut devenir un problème majeur. »
Un sport de plus en plus populaire
Contre toute attente, l’ultramarathon attire de plus en plus de pratiquants. En 2022, on recensait plus de 700 courses dans le monde, et leur nombre continue d’augmenter. En France, l’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc) est devenu un événement majeur du calendrier sportif, attirant des coureurs de 100 nationalités différentes.
Cette popularité s’explique en partie par un besoin de reconnexion à soi et à la nature. Alors que la société moderne valorise la rapidité, la productivité et l’immédiateté, les ultras proposent l’inverse : lenteur, solitude, effort prolongé. Ils deviennent un antidote à la vie urbaine, une forme d’ascèse volontaire.
Les risques : un prix à payer
Mais l’ultramarathon n’est pas sans danger. Troubles digestifs, hyponatrémie, tendinites chroniques, stress cardiaque… les effets sur la santé sont encore mal connus, faute d’études à long terme. Certains médecins mettent en garde contre une surconsommation du corps, un « burn-out physique » silencieux.
Le mental, lui aussi, peut souffrir. Après des courses très intenses, certains coureurs décrivent un vide, une forme de dépression post-compétition. Le retour à la normalité est parfois difficile, tant l’expérience de l’ultra est totale.
Et que dire des abandons ? Lors des grandes courses, le taux d’abandon dépasse parfois les 30 %. Blessures, coup de chaud, hypoglycémie, mais aussi simple épuisement moral… L’ultra, c’est aussi l’école de l’échec.
Au-delà de la performance
Malgré tout, ceux qui y goûtent y reviennent. Loin des chronos et des podiums, l’ultramarathon est une quête. Une façon de se prouver quelque chose, de se réapproprier son corps, de redéfinir le mot « possible ».
Il existe dans cette pratique une forme de poésie brute. Une ligne d’arrivée au lever du soleil, un sourire arraché à la souffrance, un regard échangé avec un inconnu au 80e kilomètre… Autant de moments suspendus que seul l’ultra peut offrir.
Car au fond, l’ultramarathon ne répond pas à la question « jusqu’où peut-on courir ? », mais plutôt à celle-ci : « jusqu’où suis-je prêt à aller pour me (re)découvrir ? »