Depuis quelques années, Roland-Garros tente d’aligner son prestige sportif avec une exigence croissante de durabilité. Si les efforts déployés par la Fédération française de tennis (FFT) sont réels, ils illustrent aussi les limites structurelles d’un sport encore largement dépendant de modèles industriels polluants. Le tournoi parisien, vitrine du tennis mondial sur terre battue, peut-il vraiment devenir un modèle écoresponsable ?
Un tournoi qui verdit… en surface
En 2020, la FFT a officiellement lancé un plan de transition écologique pour Roland-Garros. L’objectif ? Réduire l’empreinte carbone du tournoi, améliorer la gestion des déchets, optimiser la consommation d’énergie et d’eau, et favoriser la biodiversité sur le site de la Porte d’Auteuil.
Parmi les mesures concrètes, on peut citer l’installation de panneaux solaires, la généralisation des poubelles de tri, la récupération des eaux de pluie pour arroser les courts ou encore la plantation d’espaces végétalisés entre les tribunes. Le toit rétractable du court Philippe-Chatrier, tout comme les matériaux utilisés dans la rénovation du site, ont été pensés dans une logique de performance énergétique.
En matière d’alimentation, le tournoi a aussi revu sa copie : davantage de plats végétariens dans les points de vente, produits locaux mis en avant, réduction du plastique dans la vente à emporter.
Un bilan carbone encore lourd sur la terre battue
Mais derrière ces avancées, le tableau reste contrasté. L’un des principaux problèmes reste le transport des spectateurs : 520 000 visiteurs en deux semaines, dont une majorité vient en voiture ou en avion. À cela s’ajoute la logistique internationale du tournoi, les déplacements des joueurs, des membres du staff, des médias et la production massive de matériel promotionnel.
En 2022, le tournoi estimait son empreinte carbone à plus de 150 000 tonnes de CO₂ équivalent. Un chiffre impressionnant, surtout comparé à d’autres événements sportifs de durée équivalente. Une large partie de ces émissions provient du transport aérien des joueurs, des équipes techniques, et du public international.
Des engagements, mais peu de contraintes
La FFT a rejoint en 2021 le programme « Sports for Climate Action » des Nations unies. Un engagement symbolique, qui invite les grandes organisations sportives à réduire leurs émissions, à sensibiliser les fans et à favoriser des comportements durables.
Mais pour l’heure, ces engagements restent non contraignants. Rien n’interdit à un joueur de prendre un jet privé entre deux tournois. Rien n’oblige les sponsors à limiter leurs emballages ou à proposer des goodies recyclables. Et même si le tournoi propose une « compensation » carbone, celle-ci reste en débat : financer la reforestation au Pérou ou en Afrique équivaut-il vraiment à neutraliser des tonnes de CO₂ émises à Paris ?
La balle est aussi dans le camp des fans
Pour faire basculer un événement comme Roland-Garros dans une réelle logique de durabilité, il faudra sans doute mobiliser davantage les spectateurs. Certaines initiatives vont dans ce sens : ticket de métro inclus dans le billet, incitations à venir à vélo, animations autour du tri ou du recyclage. Mais cela reste encore marginal.
Le rôle du public est pourtant crucial : par ses choix de consommation sur place (nourriture, produits dérivés, modes de transport), chaque spectateur peut contribuer à réduire l’empreinte du tournoi. Des campagnes de sensibilisation plus poussées pourraient transformer ces actions ponctuelles en habitudes durables.
Et les autres tournois de terre battue ?
Roland-Garros est sans doute le tournoi du Grand Chelem le plus avancé en matière d’écologie. Wimbledon, de son côté, a lancé des programmes de réduction de plastique et de modernisation énergétique, tandis que l’US Open a développé une stratégie de recyclage renforcée. L’Open d’Australie, en revanche, reste en retard sur plusieurs aspects.
Mais aucun des quatre Majeurs n’a encore franchi le pas d’une refonte globale de son modèle logistique, notamment en ce qui concerne les transports internationaux. À l’heure où les impacts du dérèglement climatique deviennent de plus en plus concrets – y compris sur la pratique même du tennis –, il devient urgent de dépasser les symboles.
Une transition à poursuivre
Roland-Garros reste un laboratoire intéressant pour un tennis plus écologique. Mais si les surfaces deviennent plus vertes, l’impact global du tournoi reste encore trop élevé pour parler d’exemplarité. Il faudra plus que des intentions pour concilier spectacle sportif et responsabilité environnementale.
L’avenir du tennis, comme celui de nombreux sports internationaux, passera par sa capacité à se repenser dans un monde où la question climatique n’est plus secondaire, mais centrale. Roland-Garros peut montrer la voie, à condition d’oser aller plus loin.
