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Courir pour exister : quand la course devient un acte politique

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Longtemps considérée comme une activité individuelle, le fait de courir à pied prend aujourd’hui une dimension bien plus large. Dans de nombreux pays, elle devient une manière de s’exprimer, de revendiquer, de se reconstruire. À travers la foulée, certains et certaines retrouvent un espace de liberté, d’affirmation, voire de lutte.

Une activité populaire, mais pas toujours accessible

La course à pied est souvent présentée comme le sport le plus accessible : pas besoin de matériel coûteux, pas de licence, juste une paire de chaussures. Pourtant, cette accessibilité apparente masque de nombreuses inégalités. Dans certains territoires, courir peut être mal vu, dangereux ou simplement impensable pour des raisons culturelles, sociales ou de genre.

Mais précisément parce qu’elle est simple, la course est devenue un outil de réappropriation. Un moyen pour ceux qui en sont exclus — femmes dans les pays conservateurs, jeunes de quartiers populaires, minorités stigmatisées — de se réapproprier l’espace public et de prendre leur place dans la société.

Courir pour revendiquer

Dans les rues de Kaboul, en Afghanistan, des femmes ont défié les talibans en organisant des courses clandestines. À Téhéran, en Iran, des joggeuses bravent les interdictions pour s’entraîner dans les parcs au lever du jour. En France, le collectif « Les Dégommeuses », composé de sportives LGBT, revendique l’inclusivité dans les sports collectifs et organise des événements de course à pied dans les banlieues.

Chaque foulée devient alors un geste politique, un acte de présence dans un espace où l’on ne veut pas toujours vous voir. Courir n’est plus un simple loisir : c’est affirmer qu’on est là, qu’on existe, qu’on a le droit d’occuper la rue, la forêt, la piste.

Quand courir permet de se reconstruire

La course est aussi un moyen de reconstruction personnelle. De nombreuses initiatives utilisent le running comme outil de résilience : pour les personnes réfugiées, les anciens détenus, les victimes de violences. L’effort physique, la progression, l’endurance deviennent des métaphores puissantes du dépassement de soi.

À Paris, l’association « Hope and Run » propose des entraînements à des femmes ayant subi des violences conjugales. À Marseille, le programme « Je cours pour ma santé » accompagne des jeunes décrocheurs dans un parcours de remobilisation par le sport. À chaque fois, le même principe : se remettre en mouvement pour se réapproprier son corps, son image, sa trajectoire.

L’essor des collectifs citoyens

Loin des grandes marques et des courses chronométrées, une multitude de collectifs citoyens émergent dans les villes et les quartiers. À Belleville, à Lyon, à Toulouse, des groupes de coureurs s’organisent pour allier running et engagement social : ramassage de déchets en courant (le « plogging »), entraînements mixtes dans les quartiers sensibles, collecte de dons via des défis solidaires.

Ces formes de course alternative redéfinissent le sens même de la performance. Il ne s’agit plus seulement de courir vite ou loin, mais de courir ensemble, pour quelque chose, avec d’autres. Le sport devient outil de lien social, d’entraide, de conscience politique.

Courir contre les clichés

Malgré tout, la course à pied reste marquée par certains stéréotypes : les grands marathons sponsorisés, les influenceurs bodybuildés, les montres connectées à 400 euros. Cette image peut décourager celles et ceux qui n’y retrouvent pas leur place.

D’où l’importance de promouvoir une autre image du running, plus inclusive, plus diverse, moins centrée sur la performance pure. Courir lentement, courir mal, courir peu… c’est aussi courir. Et c’est parfois encore plus courageux, dans un environnement hostile, quand tout vous pousse à rester invisible.

Des pas qui résonnent plus fort

La course à pied n’est plus un simple sport. Dans de nombreux contextes, elle est devenue une langue universelle pour dire l’envie de liberté, de reconnaissance, de dignité. Qu’elle soit silencieuse ou revendicative, elle porte en elle la puissance des corps en mouvement, contre l’inertie sociale.

Dans un monde fracturé, où les inégalités s’exacerbent, courir peut sembler dérisoire. Et pourtant, chaque pas est un acte. Courir, c’est choisir d’avancer quand tout semble figé. C’est dire au monde : je suis là, et je continue.