Depuis plusieurs années, l’Arabie saoudite bouleverse les équilibres du football mondial à coups de millions et de stratégie politique. Après avoir longtemps observé à distance l’élite du ballon rond, le royaume du Golfe accélère désormais son projet de soft power sportif, en s’imposant comme une terre d’accueil pour les stars déclinantes mais aussi les compétitions internationales. Un tournant qui ne laisse personne indifférent dans l’écosystème du football professionnel.
L’été 2023 a marqué un point de bascule. En attirant Cristiano Ronaldo dans son championnat local, l’Arabie saoudite a donné le coup d’envoi d’un mercato sans précédent. De nombreux joueurs confirmés ont suivi l’exemple du quintuple Ballon d’Or, séduits par des contrats astronomiques. Karim Benzema, Sadio Mané, N’Golo Kanté, Neymar ou encore Riyad Mahrez ont tous franchi le pas. Le championnat saoudien, jusque-là anecdotique sur la scène internationale, s’est ainsi offert une vitrine spectaculaire.
Un projet de rayonnement global
Derrière cette offensive se cache une volonté politique affirmée. Le projet “Vision 2030” du prince héritier Mohammed ben Salmane entend transformer en profondeur l’économie saoudienne, longtemps dépendante des hydrocarbures. Le sport, et en particulier le football, occupe une place centrale dans cette stratégie. En investissant massivement dans les clubs, les infrastructures et les droits de diffusion, Riyad vise un double objectif : diversifier ses revenus et redorer son image à l’international.
Car au-delà de l’aspect économique, l’Arabie saoudite cherche à se repositionner comme un acteur global, capable de rivaliser avec les grandes puissances du sport. L’organisation de la Coupe du monde des clubs en 2023, suivie de la probable obtention de la Coupe du monde 2034, en est une illustration. Le royaume entend démontrer sa capacité à accueillir les plus grands événements, à l’image du Qatar en 2022.
Un modèle critiqué mais efficace
Ce modèle suscite cependant de nombreuses critiques. Accusée de “sportswashing”, l’Arabie saoudite est pointée du doigt pour son usage du sport comme outil de diversion, destiné à masquer des réalités politiques et sociales contestées, notamment en matière de droits humains. De nombreuses ONG et instances internationales alertent sur cette instrumentalisation du football à des fins diplomatiques.
Mais force est de constater que la stratégie fonctionne. Le championnat saoudien gagne en visibilité, les clubs attirent un public nouveau, et les investissements attirent l’attention des médias du monde entier. La puissance financière du royaume est telle qu’elle peut imposer un nouveau tempo au marché des transferts et faire vaciller la suprématie européenne.
Quel avenir pour l’équilibre du football mondial ?
Reste une question de fond : cette montée en puissance est-elle durable ? Si les moyens ne manquent pas, la compétitivité réelle des clubs saoudiens sur la scène internationale reste à démontrer. À l’heure actuelle, aucun d’eux n’est en mesure de rivaliser sportivement avec les cadors de la Ligue des champions. Et si le niveau général du championnat progresse, il faudra encore du temps pour qu’il acquière la crédibilité d’une Premier League ou d’une Liga.
Par ailleurs, la stratégie saoudienne pourrait forcer les instances dirigeantes à revoir leur gouvernance. Le rôle de la FIFA, souvent jugée trop conciliante, est scruté de près. Les règles de la multipropriété, du fair-play financier ou de l’éthique dans les affaires sportives pourraient faire l’objet d’un durcissement à l’avenir, sous la pression de l’opinion publique et des clubs historiques.
Une redistribution des cartes
L’Arabie saoudite ne bouleverse pas seulement le marché des transferts : elle redéfinit les rapports de force dans le football mondial. Le pouvoir sportif, longtemps concentré en Europe de l’Ouest, se déplace progressivement vers le Moyen-Orient. Ce réalignement stratégique, s’il se confirme, pourrait annoncer une nouvelle ère du football globalisé, où l’argent ne se trouve plus uniquement à Londres, Paris ou Madrid, mais aussi à Riyad, Djeddah et Abha.
Plus qu’un simple phénomène conjoncturel, l’ambition saoudienne dessine un avenir dans lequel les centres de pouvoir se déplacent. Reste à savoir si ce nouveau modèle saura allier puissance financière, projet sportif cohérent et respect des valeurs fondamentales du sport. Une équation encore loin d’être résolue.
