Plus qu’un simple sport, le sumo est un pilier de la culture japonaise. Cette lutte ancestrale, codifiée depuis des siècles, fascine autant par sa symbolique que par les impressionnantes morphologies de ses athlètes. Mais derrière les corps massifs des rikishi se cache une discipline de fer, où rigueur, sacrifice et rituels rythment le quotidien.
Le « sumo » profondément enracinée dans la tradition japonaise
Le sumo ne se résume pas à une opposition de poids lourds dans un cercle de sable. Il s’agit d’un véritable art martial, où chaque geste, chaque tenue, chaque pas est empreint d’histoire. Né dans les temples shinto, le sumo était à l’origine un rite religieux destiné à honorer les dieux et à garantir de bonnes récoltes.
Aujourd’hui encore, chaque combat est précédé d’un cérémonial précis : les lutteurs tapent des pieds pour chasser les mauvais esprits, jettent du sel pour purifier le dohyō (le cercle de combat), et s’affrontent dans un silence quasi sacré, observés par des arbitres en costume traditionnel.
Une discipline physique et mentale extrême
Contrairement aux clichés, les sumotori ne se contentent pas de prendre du poids. Leur entraînement est intensif et commence dès l’aube. À 5 heures du matin, la plupart des écuries (heya) lancent les premières séances de keiko (entraînement), avec des exercices de souplesse, des mouvements répétitifs, des combats simulés et des séances de musculation fonctionnelle.
La puissance musculaire, la souplesse des hanches, la stabilité, la vitesse d’exécution et la technique sont toutes primordiales. La masse corporelle, bien que centrale, ne suffit pas à faire un bon lutteur. L’objectif est de combiner centre de gravité bas, force explosive et anticipation des gestes adverses.
Une alimentation sumo conçue pour durer… et peser
La prise de poids, souvent spectaculaire, n’est pas le fruit d’un appétit débridé, mais d’un régime savamment orchestré. Les lutteurs mangent deux fois par jour, souvent après l’entraînement, pour que le corps assimile mieux les calories sans les brûler immédiatement.
Le plat emblématique est le chanko-nabe, une sorte de ragoût ultra-calorique à base de viande, poisson, légumes, riz et nouilles. Les portions sont gigantesques et accompagnées de litres de bière ou de riz fermenté. Cette alimentation, associée à de longues siestes post-repas, favorise la prise de masse grasse et musculaire.
Certains sumotori atteignent plus de 180 kg, mais ce poids est soigneusement réparti et entretenu pour éviter les déséquilibres. Le corps est à la fois une arme et un symbole de statut.
Hiérarchie et rituels : un code social impitoyable
Le monde du sumo est extrêmement hiérarchisé. Les débutants, souvent adolescents, doivent obéissance aux rikishi les mieux classés. Ils nettoient, cuisinent, servent, massent… avant de pouvoir eux-mêmes aspirer à un meilleur rang. Ce système féodal, parfois critiqué pour sa rudesse, est vu comme une école de la discipline et de l’humilité.
Les tournois officiels, au nombre de six chaque année, déterminent l’évolution des lutteurs dans la hiérarchie. Le plus haut grade, yokozuna, est réservé à l’élite absolue, capable d’allier technique irréprochable et comportement exemplaire. Un yokozuna n’a pas le droit à l’erreur : un comportement déplacé ou une série de défaites peut précipiter sa retraite.
Un sport en mutation face aux enjeux modernes
Le sumo n’est pas épargné par les critiques et les controverses. On lui reproche parfois un manque de transparence, des scandales internes (affaires de bizutage, dopage ou violences), ainsi qu’un certain immobilisme face aux attentes modernes. Par exemple, les femmes ne peuvent toujours pas monter sur le dohyō, même pour des cérémonies symboliques, ce qui suscite régulièrement des débats au Japon et à l’étranger.
Cependant, le sumo évolue. L’ouverture à des lutteurs étrangers – mongols, géorgiens, brésiliens, bulgares – a permis de renouveler l’élite et d’élargir son audience. Certains rikishi issus d’autres cultures deviennent des stars nationales, à l’image de l’ex-yokozuna mongol Hakuho, considéré comme l’un des plus grands de l’histoire.
Entre tradition et modernité, le sumo trace sa voie
Le sumo est un sport à part. Il ne cherche pas à séduire à tout prix, ni à se conformer aux normes du sport-spectacle mondialisé. Il fascine justement par sa capacité à préserver un héritage vieux de plusieurs siècles tout en s’adaptant, par petites touches, à son époque.
Derrière l’image d’Épinal du colosse en pagne se cache une discipline codifiée, exigeante, où l’esprit compte autant que le corps. Une école de vie qui continue de faire vibrer le Japon… et d’intriguer le reste du monde.