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L’Égypte, nouvelle puissance du sport africain ?

Longtemps cantonnée à ses exploits footballistiques, l’Égypte multiplie désormais les succès dans de nombreuses disciplines. En combinant stratégie d’État, infrastructures ambitieuses et passion populaire, le pays cherche à s’imposer comme un leader sportif continental – et au-delà.

Quand on pense à l’Égypte et au sport, les images du stade international du Caire plein à craquer pour un match de Mohamed Salah viennent immédiatement à l’esprit. Pourtant, cette représentation ne suffit plus à cerner le paysage sportif du pays. Squash, handball, natation, sports de combat, tennis de table… Depuis une dizaine d’années, l’Égypte s’affirme comme un vivier de talents, d’organisation et de résultats. Cette dynamique ne relève pas du hasard : elle est le fruit d’une politique volontariste et d’un investissement croissant dans le sport comme outil de rayonnement et de cohésion nationale.

Une politique sportive soutenue par l’État

L’impulsion est venue d’en haut. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, le sport est devenu un pilier assumé du projet politique. Le ministère de la Jeunesse et des Sports bénéficie de budgets en hausse constante, et le discours officiel insiste régulièrement sur le rôle du sport dans la formation de la jeunesse, la lutte contre l’extrémisme et la fierté nationale.

Dans les faits, cela se traduit par une prolifération de centres d’entraînement, de complexes omnisports et d’académies. La New Administrative Capital, la future capitale politique du pays, accueillera l’un des plus grands centres sportifs d’Afrique, avec stades, piscines olympiques, pistes d’athlétisme, et hébergements pour athlètes.

Cette stratégie vise aussi à positionner l’Égypte comme un hôte régulier des grandes compétitions : Coupe du monde de handball 2021, Championnats d’Afrique dans de multiples disciplines, ambitions olympiques à long terme… Le pays investit massivement pour devenir une plateforme sportive régionale.

Squash : une domination écrasante

Si un sport incarne la réussite égyptienne, c’est bien le squash. Depuis plus d’une décennie, les joueuses et joueurs égyptiens monopolisent les premières places mondiales. Nour El Sherbini, Ali Farag, Raneem El Welily ou Mostafa Asal sont devenus les têtes d’affiche d’un modèle de performance unique.

Cette suprématie repose sur une alchimie rare : une tradition ancienne, une détection précoce des talents, des entraîneurs de haut niveau et une popularité nationale inattendue. En Égypte, le squash est un sport de masse dans les grandes villes, avec de nombreux clubs accessibles. Loin d’un élitisme occidental, il est ici un outil d’ascension sociale.

Handball : une équipe nationale ambitieuse

L’autre sport collectif dans lequel l’Égypte s’impose est le handball. L’équipe masculine a terminé quatrième au Mondial 2021 après avoir frôlé l’exploit contre le Danemark, et continue de figurer parmi les meilleures nations non-européennes. Les Pharaons brillent aussi dans les compétitions juniors et cadets, preuve d’un vivier solide.

Cette réussite repose sur un championnat national compétitif, sur des clubs mythiques comme Al Ahly ou Zamalek, et sur une école de formation bien structurée. Le handball féminin reste en retrait, mais bénéficie depuis peu d’un plan de développement spécifique.

Des sports individuels en pleine éclosion

L’Égypte brille également dans plusieurs disciplines individuelles souvent délaissées sur le continent. En natation, Farida Osman a ouvert la voie avec des performances mondiales ; en lutte, en haltérophilie, en escrime, les Égyptiens ramènent régulièrement des médailles dans les compétitions africaines et arabes, et parfois même sur la scène mondiale.

Le tennis de table connaît lui aussi une progression rapide, avec Omar Assar ou Dina Meshref comme têtes d’affiche. Ces disciplines bénéficient d’un appui croissant du comité olympique égyptien, qui cherche à diversifier les sources de médailles.

Un football toujours roi, mais en transition

Bien sûr, le football reste le sport numéro un en Égypte. Les clubs du Caire dominent le continent, la sélection reste redoutable à chaque Coupe d’Afrique, et Mohamed Salah est une icône nationale. Mais le football égyptien est aussi à la croisée des chemins : stades souvent vétustes, violences entre supporters, crise de gouvernance à la Fédération…

Pour redresser la barre, des projets de ligue professionnelle modernisée et de formation renforcée ont été lancés. L’objectif : retrouver la compétitivité à l’international et ne pas dépendre uniquement de stars expatriées.

Un enjeu de soft power régional

Derrière cette montée en puissance se cache un objectif géopolitique assumé : devenir la première puissance sportive d’Afrique et du monde arabe. En accueillant des compétitions, en formant des arbitres, en exportant ses athlètes, l’Égypte veut affirmer son leadership régional, tout en développant un levier d’influence auprès de ses partenaires économiques et diplomatiques.

Le sport devient ainsi un instrument de soft power, au même titre que la culture ou la diplomatie. Et cette stratégie séduit : de nombreux pays africains viennent s’inspirer du « modèle égyptien », voire y former leurs jeunes talents.

Des défis à relever

Cette dynamique, aussi impressionnante soit-elle, n’est pas exempte de limites. Les inégalités d’accès au sport restent importantes entre zones urbaines et rurales. La question du sport féminin, malgré quelques succès, demeure sensible dans une société conservatrice. Le dopage, la corruption ou l’absence de syndicats d’athlètes sont autant de points noirs à surveiller.

Mais une chose est sûre : l’Égypte ne compte pas ralentir. Elle entend utiliser le sport comme levier d’un développement plus large – économique, éducatif, diplomatique – et s’en donne les moyens. En cela, elle trace une voie singulière sur le continent, à mi-chemin entre passion populaire et stratégie d’État.