Entre événements annulés, pollution accrue et empreinte carbone inquiétante, le monde du sport ne peut plus ignorer l’urgence climatique. Désormais, clubs, fédérations et athlètes s’interrogent : comment concilier passion, performance et planète ?
Le sport a longtemps été vu comme un refuge hors du monde réel, un territoire à part où seule la performance comptait. Mais à l’ère du dérèglement climatique, aucun domaine n’est épargné. Inondations, canicules, sécheresses, incendies : les effets du climat bouleversent désormais le calendrier des compétitions, les conditions d’entraînement, les pratiques quotidiennes. À l’inverse, l’organisation de grands événements internationaux, les déplacements massifs et les infrastructures temporaires génèrent une empreinte carbone colossale. Le sport, victime du changement climatique, en est aussi acteur. Un paradoxe auquel il va falloir répondre, vite.
Des signes de plus en plus visibles
En 2023, le marathon de New York a été couru sous une température exceptionnelle de 23°C en novembre, mettant à rude épreuve les organismes. Le même été, plusieurs matchs de football professionnel ont été arrêtés pour cause de températures extrêmes. En 2024, les cyclistes du Tour de France ont affronté des étapes à plus de 40°C, rendant la course presque irréaliste sur certaines portions. Le ski, lui, recule année après année : stations fermées, neige artificielle omniprésente, compétitions annulées faute de manteau blanc.
Les exemples se multiplient à tous les niveaux. Des clubs amateurs de football ou de rugby dont les terrains deviennent impraticables à cause de la sécheresse. Des piscines municipales fermées en période de crise énergétique. Des courses de trail déplacées en altitude pour éviter les feux de forêt. Le sport vit de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique, sans y avoir été vraiment préparé.
Une empreinte carbone encore trop lourde
Mais le sport n’est pas qu’une victime : il est aussi contributeur. L’empreinte carbone des grands événements reste vertigineuse. Les Jeux olympiques de Tokyo ont généré près de 1,5 million de tonnes de CO₂ selon les estimations officielles, malgré des efforts affichés de sobriété. Les Jeux de Paris 2024, qui ont revendiqué une « neutralité carbone », ont fait mieux, mais restent critiqués pour le recours massif au béton, à la climatisation et aux transports internationaux.
Le football professionnel, avec ses déplacements incessants, ses stades illuminés des heures durant et ses milliers de supporters motorisés, affiche un bilan climatique inquiétant. Un match de Ligue des champions mobilise des centaines de tonnes de CO₂ entre l’avion des joueurs, les cars de supporters, les livraisons, les éclairages et la logistique.
Même les disciplines dites « écoresponsables » ne sont pas exemptes de contradictions : les trails sponsorisés par des marques outdoor multinationales, les compétitions de voile avec bateaux logistiques motorisés, ou encore les compétitions de surf qui déplacent des athlètes d’un bout à l’autre du globe.
Des initiatives positives… mais encore rares
Face à ces constats, certaines initiatives émergent. En France, la Ligue nationale de rugby a lancé un « plan vert » pour limiter les déplacements et imposer des normes énergétiques dans les stades. La Fédération française de ski réfléchit à une réduction du calendrier et au report de certaines épreuves. De nombreux clubs amateurs organisent désormais des événements écoresponsables : ravitaillements sans plastique, co-voiturage, circuits courts.
Des athlètes prennent aussi la parole. La skieuse suédoise Sara Hector a refusé certains déplacements en avion. Le tennisman Dominic Thiem a investi dans des projets de reforestation. Le cycliste français Guillaume Martin a publié une tribune très remarquée appelant à « décarboner le peloton ».
Mais ces efforts, souvent individuels ou symboliques, peinent à transformer structurellement un modèle fondé sur la croissance, la vitesse et l’accumulation. Le sport reste dominé par des logiques économiques puissantes, où les enjeux environnementaux passent souvent au second plan.
Un changement de modèle inévitable ?
De plus en plus de voix appellent à une remise en cause en profondeur. Faut-il limiter les déplacements internationaux ? Réduire le nombre de compétitions ? Bannir les constructions temporaires ? Interdire les compétitions en zones climatiques à risque ? Promouvoir un sport plus local, plus sobre, plus durable ?
Ces propositions étaient encore taboues il y a quelques années. Elles entrent désormais dans le débat public, portées par des chercheurs, des ONG, mais aussi certains responsables sportifs. Le Comité international olympique lui-même parle désormais d’ »urgence climatique » et promet de revoir ses critères d’attribution.
Les Jeux d’hiver posent une question particulièrement aiguë : comment maintenir une discipline entièrement dépendante de la neige dans un monde où celle-ci se raréfie ? À long terme, la pérennité même de certaines pratiques est en jeu.
Vers un nouveau récit du sport ?
Le sport peut aussi devenir un formidable levier de sensibilisation. Par sa visibilité, son audience, son pouvoir émotionnel, il peut contribuer à transformer les mentalités. Des documentaires, des campagnes de communication, des matchs dédiés à l’environnement se multiplient. Certains clubs engagent des démarches de transition : panneaux solaires, récupération d’eau, transport collectif des fans, réduction des goodies inutiles.
Mais au-delà de l’écologie « cosmétique », c’est le récit du sport qu’il faut repenser. Moins de records, plus de résilience. Moins d’exotisme lointain, plus d’ancrage local. Moins de conquête, plus de préservation. Le sport ne doit plus être un défi lancé à la nature, mais une manière d’habiter le monde autrement, avec elle.
Courir, oui, mais jusqu’où ?
Le sport est à la croisée des chemins. S’il veut continuer à faire rêver, il devra apprendre à ralentir, à réduire, à s’adapter. Les athlètes, les supporters, les organisateurs n’ont plus le choix : la transition écologique est désormais une condition de survie.
Cela ne signifie pas la fin de la passion, du spectacle ou de la compétition. Cela signifie leur réinvention. Une chance, peut-être, de faire du sport un moteur de transformation plutôt qu’un agent du désastre. Et si le XXIe siècle s’écrivait aussi sur les pistes, les terrains et les routes… mais avec un souffle nouveau.