Le Sénat examine une proposition de loi qui pourrait profondément transformer la gouvernance du sport professionnel français. Dans le viseur : les dérives économiques et organisationnelles du football hexagonal, sous tension après plusieurs crises. Le monde du ballon rond retient son souffle.
Une réforme choc en préparation
À peine le Paris Saint-Germain a-t-il levé sa première Ligue des champions que le football français redescend brutalement sur terre. Ce mardi 17 juin, les sénateurs Laurent Lafon (UDI) et Michel Savin (LR) soumettent à l’examen de la chambre haute un texte qui pourrait provoquer un séisme dans le paysage du sport professionnel français.
Présentée comme une réponse aux « dysfonctionnements profonds » mis en lumière en 2024 par une commission d’enquête sénatoriale, cette proposition de loi vise à réformer la gouvernance du sport pro, avec en ligne de mire la Ligue de football professionnel (LFP) et ses choix contestés ces dernières années. Au cœur du dossier : le contrat signé avec le fonds CVC Capital Partners, en 2022, qui avait injecté 1,5 milliard d’euros dans le football professionnel en échange de 13 % à vie des recettes commerciales de la LFP.
Pour les sénateurs à l’origine du texte, cette opération symbolise une série d’erreurs stratégiques qui ont fragilisé l’économie du football français. « Une dilution du pouvoir, un manque de transparence, des décisions hasardeuses… Nous sommes dans une situation plus que préoccupante », alerte Laurent Lafon.
Fédérations renforcées, ligues inquiètes
La mesure la plus explosive du texte concerne la possibilité pour les fédérations sportives de retirer leur délégation aux ligues professionnelles qui organisent les compétitions de clubs, en cas de « manquement à l’intérêt général de la discipline ». Concrètement, la Fédération française de football (FFF) pourrait un jour reprendre la main sur les compétitions actuellement gérées par la LFP.
Pour la Ligue, c’est une menace existentielle. Les ligues professionnelles, toutes disciplines confondues, ont dénoncé dans une tribune dans Les Échos un projet attribuant aux fédérations un « droit de vie ou de mort », réclamant que soit préservée leur autonomie. Face à la fronde, les sénateurs ont atténué le dispositif : désormais, un avis du ministre des Sports et un préavis de six mois seront nécessaires avant tout retrait de délégation.
Mais la tension demeure. Le football professionnel français, déjà ébranlé par la crise des droits télé, voit dans cette réforme une remise en cause directe de son modèle économique et de son indépendance.
Des rééquilibrages dans les tuyaux
Le texte contient aussi des propositions issues des États généraux du football professionnel, tenus en avril 2025. Parmi elles, la création d’une seconde ligue professionnelle dédiée au sport féminin, gérée par les fédérations, ou encore un rééquilibrage des revenus télévisés.
Aujourd’hui, l’écart de redistribution des droits TV au sein d’un même championnat peut atteindre 1 à 5 entre les clubs les plus riches et les plus modestes. Le projet de loi souhaite limiter cet écart à 1 à 3, pour garantir davantage d’équité sportive et économique. Une mesure qui, si elle venait à être adoptée, pourrait bousculer la hiérarchie actuelle du football français.
La gouvernance des dirigeants aussi ciblée
Autre point sensible : la rémunération des dirigeants des instances sportives. Le projet prévoit de plafonner les salaires des présidents de ligues professionnelles. Une référence à peine voilée à Vincent Labrune, président de la LFP, dont les émoluments avaient fortement choqué les membres de la commission d’enquête.
Mais cette mesure rencontre l’opposition du gouvernement, qui a déjà indiqué qu’il n’y était pas favorable. L’exécutif a néanmoins déposé une douzaine d’amendements sur le texte, preuve qu’il prend très au sérieux cette initiative sénatoriale.
Conflit d’intérêts dans le viseur
Enfin, la loi propose d’interdire certains cumuls de fonctions susceptibles de créer des conflits d’intérêts. Principal visé : Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG, mais aussi patron de beIN Sports (diffuseur du championnat de France) et membre du conseil d’administration de la LFP. Si le texte venait à être promulgué, il lui serait impossible de conserver ces trois casquettes à la fois.
La mesure pourrait faire jurisprudence et s’appliquer à d’autres disciplines, dans un souci de clarté et de séparation des rôles entre organisateurs, diffuseurs et investisseurs.
Un avenir encore flou, mais un débat lancé
Pour l’heure, le texte reste à l’étape du Sénat, et rien ne garantit qu’il sera inscrit à l’Assemblée nationale. Le gouvernement, attentif mais prudent, pourrait en freiner l’avancée. Mais le débat est lancé, et l’onde de choc pourrait gagner tout le sport professionnel français.
La proposition des sénateurs Lafon et Savin soulève une question essentielle : qui doit diriger le sport professionnel ? Les ligues autonomes ou les fédérations garantes de l’intérêt général ? Une interrogation qui dépasse le football, et qui pourrait redessiner en profondeur le modèle sportif français.