Il a tout raflé ou presque : six victoires d’étape, le maillot rose sans interruption dès la 2e journée, un Giro couru à sa main comme s’il n’y avait pas de rival. Tadej Pogacar a une nouvelle fois impressionné, renforçant son statut de coureur à part dans le peloton. Mais derrière cet exploit personnel, le constat est moins reluisant pour UAE Team Emirates, dont le collectif est apparu largement en retrait durant les trois semaines de course italienne.
Un Pogacar seul au monde… ou presque
Sur les routes du Tour d’Italie, Pogacar n’a jamais semblé mis en danger. Ni les adversaires ni les étapes les plus exigeantes n’ont pu le faire vaciller. Et pourtant, dans les phases décisives, il n’a guère pu compter sur une équipe dominante pour l’épauler.
Dans les cols, les autres formations — Ineos Grenadiers, Bora-Hansgrohe, Decathlon-AG2R ou Lidl-Trek — ont souvent contrôlé le tempo, pendant que les hommes de UAE se contentaient d’un rôle effacé. Seul Adam Yates a réellement surnagé, en s’adjugeant une belle victoire d’étape lors de la 17e journée, au sommet de Passo Brocon, dans un effort en solitaire digne des grands grimpeurs.
Yates a également terminé 5e du classement général, sauvant l’apparence pour une équipe qui visait pourtant bien plus que l’ombre de son leader. « Pogacar, c’est l’arbre qui cache la forêt », résume un analyste cycliste italien. « Sans lui, UAE n’aurait pas existé dans la course au général. »
Une stratégie axée uniquement sur Pogacar
Depuis le départ de Turin, l’objectif de UAE était clair : faire de Pogacar le patron absolu du Giro. Aucun autre coureur ne visait sérieusement un classement individuel. L’ensemble du collectif était entièrement dédié au Slovène. Mais cette stratégie, qui a parfaitement fonctionné cette fois-ci grâce à l’extraterrestre Pogacar, révèle ses limites en cas de défaillance du leader.
Sur les étapes de moyenne montagne, dans les bordures ou lors des moments de tension, UAE a parfois été prise de vitesse, incapable de maîtriser le peloton. Des équipes comme Ineos ou Bahrain Victorious ont montré bien plus de coordination et de densité, même sans prétendre à la victoire finale.
Cette absence de profondeur pourrait coûter cher lors du Tour de France, où la concurrence sera plus rude, avec Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel, Primoz Roglic ou Carlos Rodríguez tous en embuscade. UAE ne pourra pas compter uniquement sur les jambes phénoménales de Pogacar.
Des équipiers en retrait
Des coureurs comme Felix Großschartner, Rafal Majka ou Mikkel Bjerg n’ont pas été à la hauteur des attentes, souvent distancés trop tôt dans les étapes difficiles. Même dans les contre-la-montre ou sur les étapes de plaine, UAE n’a jamais semblé en position de force pour contrôler les échappées ou peser sur le rythme général.
La réussite écrasante de Pogacar masque ainsi un problème plus large de gestion d’effectif. L’équipe semble dépendre exclusivement de son leader, sans plan B en cas d’aléa. Une vulnérabilité inquiétante à quelques semaines du Tour, où la tactique et la profondeur du banc joueront un rôle clé.
Un enseignement à retenir avant le Tour de France
Cette leçon italienne pourrait forcer UAE à revoir ses plans. L’équipe devra resserrer ses rangs, densifier son collectif et envisager des scénarios où Pogacar pourrait avoir besoin de relais solides. Car en juillet, face à des formations comme Visma-Lease a Bike, Soudal-Quick Step ou Ineos, chaque coéquipier comptera.
L’ajout de João Almeida, Brandon McNulty ou Marc Soler pour la Grande Boucle devrait apporter plus de stabilité, mais la gestion stratégique devra aussi évoluer. Pogacar ne pourra pas toujours jouer en solitaire. Même un phénomène a besoin d’équipiers solides pour asseoir sa domination.
Une victoire éclatante, mais un signal d’alarme
Le Giro 2024 restera sans doute comme l’un des plus maîtrisés de l’ère moderne, avec un Pogacar souverain du premier au dernier jour. Mais pour UAE, ce succès est trompeur : sans une performance hors norme de son leader, l’équipe n’a pas montré le visage d’une formation totalement maîtrisée.
La victoire de Yates, belle et précieuse, offre une consolation bienvenue, mais ne suffit pas à masquer les insuffisances collectives. Pour briller en juillet, UAE devra monter d’un cran. Pogacar peut gagner seul… mais pas contre tous, et pas indéfiniment.