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Pourquoi le salaire d’un footballeur vaut plus qu’un athlète ?

Un sprinteur traverse la ligne d’arrivée après des années de sacrifice, de bas salaire, de douleurs physiques et d’heures passées à s’entraîner loin des caméras. Il lève les bras, heureux. Dans les tribunes, les applaudissements sont sincères, mais rares. Quelques jours plus tôt, un joueur de football, pourtant moyen dans son championnat, signait un contrat à plusieurs millions d’euros pour s’asseoir sur un banc. Entre les deux, le fossé n’est pas seulement économique. Il est culturel, médiatique, presque philosophique. Pourquoi le sport roi brasse-t-il autant d’argent quand l’athlétisme, matrice historique des Jeux Olympiques, peine à assurer la stabilité financière de ses champions ?

Disparité de salaire contre une passion de niche

Le football est omniprésent. Dans les stades, à la télévision, sur les réseaux sociaux, dans les conversations de bureau. Il est à la fois sport, spectacle, industrie et identité. Des clubs comme le Real Madrid, Manchester United ou le PSG ne sont pas seulement des équipes : ce sont des marques mondiales, adossées à des sponsors géants, des droits TV colossaux et un public de centaines de millions de personnes.

L’athlétisme, en comparaison, vit dans un cycle plus discret. Il éclaire brièvement les écrans tous les quatre ans, lors des Jeux Olympiques, ou parfois lors des Championnats du monde. Mais en dehors de ces temps forts, il reste à la marge du système médiatique. Peu de meetings sont retransmis, les audiences restent modestes, et seuls quelques noms comme Usain Bolt ou Eliud Kipchoge parviennent à franchir la barrière de la célébrité mondiale.

Cette différence d’exposition explique en grande partie l’écart des salaires. Dans une économie du sport où l’argent vient du regard du public, ce qui est vu est valorisé. Le football, parce qu’il est suivi, peut vendre cher ses droits, ses maillots, son image. L’athlétisme, lui, reste sous-financé parce qu’il est sous-consommé.

Des revenus incomparables

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Un joueur moyen de Ligue 1 peut toucher un salaire qui vaut entre 40 000 et 100 000 euros par mois. Un joueur de Premier League, bien plus. À l’opposé, un athlète professionnel français de haut niveau, même sélectionné en équipe nationale, peine souvent à dépasser les 2 000 euros mensuels… en cumulant les primes, les sponsors locaux, et parfois un emploi à temps partiel. En dehors d’une poignée de stars mondiales, l’immense majorité des athlètes de haut niveau vit dans la précarité.

Le modèle économique est lui aussi très différent. Le footballeur est salarié d’un club, avec un contrat stable, des assurances, un encadrement médical et juridique. L’athlète est souvent indépendant, dépendant des aides de l’État, des subventions locales ou du mécénat personnel. S’il se blesse, il peut perdre toute source de revenu. Et lorsqu’il ne performe plus, il n’y a pas de banc de touche rémunéré : il sort du système.

Une exigence pourtant équivalente

Ce fossé de salaire est d’autant plus frappant que l’engagement physique et mental est le même – voire plus rude – pour les athlètes. Là où un footballeur peut compter sur ses coéquipiers, un athlète est seul face à son chrono, sa barre, ou son lancer. Le moindre centimètre peut faire la différence entre la victoire et l’oubli. La carrière est courte, le corps souvent meurtri, et la reconnaissance rare.

Les exigences d’un sportif de haut niveau – diététique, préparation mentale, hygiène de vie – sont les mêmes, voire plus strictes encore en athlétisme. Il faut s’entraîner deux à trois fois par jour, toute l’année, souvent loin de chez soi, avec une incertitude financière constante. Pourtant, la récompense économique ne suit pas.

Le poids de la médiatisation et des modèles

Le problème est aussi culturel. Le football a su s’installer comme un produit de masse, avec des récits faciles à raconter, des héros à idolâtrer, des rivalités à exploiter. Le sport y est scénarisé, transformé en feuilleton. L’athlétisme, plus silencieux, plus austère dans son traitement médiatique, peine à produire cette narration grand public.

Les jeunes rêvent de devenir Mbappé ou Haaland, rarement de ressembler à Kevin Mayer ou Renaud Lavillenie. Pas par manque de mérite, mais par manque d’images, de récits, de visibilité. Et cette absence de désir médiatique se traduit directement en opportunités économiques.

Faut-il rééquilibrer le salaire ?

Certains appellent à une meilleure répartition des ressources dans le sport de haut niveau. Faut-il plafonner les salaires dans le football pour redistribuer vers des disciplines moins exposées ? L’idée est séduisante sur le plan moral, mais elle se heurte à la logique du marché. Tant que le football génère plus, il paiera plus. Et l’athlétisme ne pourra compter que sur ses propres efforts pour valoriser son image.

Mais les choses évoluent. De plus en plus d’athlètes prennent la parole, utilisent les réseaux pour raconter leur quotidien, toucher un public, fédérer une communauté. L’économie de l’attention est en train de se fragmenter. Et dans cette nouvelle configuration, il y a peut-être une place pour ceux qui courent plus vite que le regard du monde.