Longtemps minoritaires, les femmes sont en train de redéfinir l’ultra-trail. Endurantes, stratèges, résilientes, elles repoussent les limites physiques et mentales sur les parcours les plus exigeants du monde. Une révolution en baskets, portée par des athlètes hors normes.
Quand l’endurance change de visage
Jusqu’à récemment, l’ultra-trail — ces courses de plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres en pleine nature — restait un bastion masculin. Les épreuves mythiques comme l’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc), la Diagonale des Fous ou la Western States attiraient des foules majoritairement composées d’hommes. Mais la donne change. Lentement, sûrement, les femmes prennent leur place sur les sentiers.
La particularité de l’ultra-trail, c’est qu’il ne se résume pas à la puissance physique. Ici, l’endurance pure, la gestion de course, la résistance mentale et la capacité à endurer l’inconfort sont aussi — sinon plus — décisifs que la force musculaire. Autant de qualités où les femmes excellent.
Les performances féminines ne cessent d’étonner. En 2023, la Française Blandine L’Hirondel remportait le championnat du monde de trail court à Innsbruck. La Britannique Jasmin Paris, devenue une légende après avoir bouclé la Spine Race (430 km à travers les montagnes anglaises) tout en tirant son lait entre deux ravitaillements, incarne cette nouvelle vague d’ultra-traileuses. Des athlètes inspirantes, résolues, et indifférentes aux codes traditionnels.
Portraits de pionnières et de championnes
Nathalie Mauclair, première Française à remporter l’UTMB en 2013, a ouvert la voie. Aujourd’hui, la Suissesse Katie Schide, l’Américaine Courtney Dauwalter ou la Néo-Zélandaise Ruth Croft trustent les podiums internationaux. Leurs visages sont familiers des magazines spécialisés, leurs exploits salués dans des environnements encore majoritairement masculins.
Courtney Dauwalter, notamment, bouleverse les hiérarchies. Son sourire permanent et ses lunettes de soleil décalées contrastent avec sa domination implacable sur les plus grandes épreuves : UTMB, Hardrock 100, Western States… elle a tout gagné. En 2023, elle réalisait un triplé inédit sur ces trois courses légendaires en un seul été.
Ces femmes ne sont plus l’exception, mais des modèles. Elles racontent un autre rapport au sport, plus intuitif, plus connecté au corps et à la nature. Moins focalisées sur la performance brute, plus sensibles à l’expérience globale, elles redéfinissent le trail comme un art de vivre, une philosophie.
Une égalité encore incomplète
Pourtant, tout n’est pas encore gagné. Les femmes représentent toujours moins de 20 % des inscrits sur certaines courses d’ultra-distance. Les barrières sont culturelles, sociales, économiques. La maternité, la charge mentale, le manque d’encadrement spécifique, ou encore les clichés persistants sur la “fragilité” féminine limitent encore leur accès au très haut niveau.
Certains organisateurs l’ont compris. Des formats mixtes, des dotations égales, des campagnes de communication inclusives voient le jour. L’UTMB, désormais épreuve phare du circuit mondial, met davantage en avant ses championnes. Des réseaux comme “Trail au féminin” en France, ou “SheRaces” au Royaume-Uni, militent pour une représentation équitable et une meilleure prise en compte des spécificités féminines.
Mais le chemin est long. Dans les pelotons, les récits de sexisme ordinaire ne sont pas rares : regards condescendants, encouragements paternalistes, absence de sponsors… Pourtant, chaque pas supplémentaire gravé dans la boue ou la roche par ces femmes renforce leur légitimité.
L’ultra-trail, un terrain d’émancipation
Ce qui fascine dans cette conquête, c’est qu’elle ne se fait pas à coups de slogans, mais à la force des mollets. Les ultra-traileuses avancent, une foulée après l’autre, souvent loin des caméras, dans des efforts qui frôlent parfois l’abandon, le vertige, l’épuisement total. Et pourtant, elles reviennent, plus fortes, plus visibles.
Ce sport, rude et exigeant, devient paradoxalement un terrain d’émancipation. Il offre un espace de solitude, de confrontation à soi-même, loin des normes sociales. Nombreuses sont les coureuses qui expliquent avoir trouvé, sur les sentiers, une forme de puissance qu’elles n’avaient jamais ressentie ailleurs. Une liberté totale.
Le corps, dans l’ultra, n’est pas réduit à sa beauté ou à sa performance esthétique. Il devient outil, allié, territoire à explorer. Et dans un monde encore saturé d’images formatées, cette approche brutale et sincère du sport fait du bien.
La révolution est en marche
En 2025, il est clair que l’ultra-trail au féminin n’est plus un épiphénomène. Il est un mouvement de fond. À mesure que les championnes grimpent sur les podiums, que les anonymes s’élancent pour leur premier 80 km, une révolution silencieuse continue. Elle ne fait pas de bruit, mais elle creuse son chemin — parfois jusqu’au sommet du mont Blanc.