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Courir pour exister : la revanche des athlètes réfugiés

usain bolt

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Leur passeport ne dit plus rien. Leur pays n’existe parfois que dans leur mémoire. Mais sur les pistes et dans les stades, les athlètes réfugiés redonnent un visage à ceux qu’on ne regarde plus. Leur force : courir, sauter ou nager pour exister, pour survivre, pour espérer.

Déracinés mais pas résignés

On les appelle “athlètes réfugiés”, comme si leur parcours personnel valait une catégorie à part. En réalité, ce sont des sportifs comme les autres, sauf qu’ils ont tout perdu. Leurs maisons, leurs clubs, leurs familles, parfois même leur nom dans les fichiers des fédérations. Fuyant la guerre, les persécutions ou la misère, ils ont tout quitté avec, dans leurs sacs, un short, une paire de baskets, et l’idée folle qu’un jour, peut-être, ils recourraient librement.

Yusra Mardini, par exemple. Cette nageuse syrienne avait fui Damas en 2015. Lors de la traversée de la Méditerranée, son bateau surchargé était tombé en panne. Avec sa sœur et deux autres passagers, elle avait sauté à l’eau pour tirer l’embarcation jusqu’à la côte grecque. En 2016, elle devenait l’un des visages du premier “Refugee Olympic Team” à Rio. Depuis, elle est devenue ambassadrice du HCR, prouvant que l’exil peut aussi devenir une plateforme d’engagement.

Paris 2024 : des Jeux pas comme les autres

Aux Jeux olympiques de Paris en 2024, l’équipe olympique des réfugiés a marqué les esprits. Trente-six athlètes, issus de douze pays, ont porté les couleurs du CIO dans des disciplines aussi variées que la boxe, l’athlétisme, la natation ou encore le judo. Parmi eux, certains ont même atteint les demi-finales, ou frôlé les podiums. Si aucune médaille n’a été remportée, les performances ont été saluées bien au-delà du simple résultat.

Mais au-delà des chronos et des classements, c’est l’émotion suscitée par leur présence qui a marqué ces Jeux. Dans un stade plein, à domicile pour certains exilés installés en France, ces athlètes ont reçu des ovations comparables à celles des plus grandes nations. Ils n’avaient ni hymne, ni drapeau, mais leur énergie racontait mille histoires.

Le coureur soudanais Jamal Abdelmaji Eisa Mohammed, arrivé en Europe après avoir fui le Darfour, a terminé son 5 000 mètres dans un silence de respect. La boxeuse iranienne Farzaneh Fasihi a livré un combat acharné sous les acclamations du public. Ce n’était pas seulement du sport. C’était un acte de visibilité.

Le sport comme renaissance

Être réfugié, c’est souvent devenir invisible. Réduit à un statut administratif, privé de patrie, de papiers, parfois même d’identité. Mais sur un terrain, tout change. Le corps reprend ses droits. Le nom revient sur les écrans. La dignité se reconstruit.

Le sport offre un cadre, une régularité, un espace d’expression. Dans les camps de réfugiés ou les centres d’accueil, les initiatives sportives se multiplient. Le programme de la Olympic Refuge Foundation, soutenu par le CIO, accompagne aujourd’hui plus de 200 000 jeunes dans 30 pays. Ce n’est pas qu’un vivier de futurs champions : c’est un levier de reconstruction mentale, sociale et parfois professionnelle.

Certaines trajectoires débouchent sur des naturalisations. D’autres athlètes choisissent de rester dans l’équipe des réfugiés pour témoigner, pour représenter ceux qui n’ont pas eu leur chance. Le sport devient alors plus qu’un métier : une mission.

Un symbole dans un monde fracturé

Dans une époque où les flux migratoires provoquent des crispations politiques, la présence des athlètes réfugiés sur les scènes sportives internationales agit comme un miroir tendu à la société. Ils rappellent que le talent n’a pas de nationalité. Que l’exil n’efface pas l’espoir. Et que la résilience peut se transformer en force collective.

Paris 2024 a permis à cette équipe de franchir un cap. Leur visibilité médiatique s’est accrue, les sponsors commencent à s’intéresser à leur image, les fédérations à leurs performances. Mais l’essentiel demeure ailleurs : dans la façon dont ces athlètes racontent, par leur simple présence, une autre manière d’habiter le monde.

Ils ne sont pas seulement des survivants. Ce sont des compétiteurs, des modèles, des voix. Et si le monde du sport continue à leur ouvrir ses portes, alors peut-être d’autres institutions suivront.

Et après ?

Nous sommes en 2025. Les regards se tournent déjà vers Los Angeles 2028. L’équipe des réfugiés y sera encore, plus nombreuse, plus expérimentée, plus ambitieuse. Certains des visages découverts à Paris poursuivent leur carrière, d’autres commencent à encadrer les jeunes générations. La relève est là, dans les camps du Kenya, dans les centres d’accueil de Berlin, dans les écoles de sport d’Istanbul.

Leurs histoires continuent de s’écrire, et chacune porte une leçon d’humanité. Tant qu’il y aura une ligne de départ, ils seront là. Et dans leur sillage, c’est tout un monde en quête de reconnaissance qui trouvera son souffle.