Le monde du cyclisme professionnel est en ébullition. Un projet titanesque baptisé « One Cycling » ambitionne de révolutionner ce sport historique avec l’aide du fonds souverain saoudien. Entre promesses de revenus garantis, calendrier repensé et ligue fermée, la résistance s’organise, notamment du côté d’ASO, gardien du Tour de France.
Une révolution inspirée du football
Depuis plusieurs mois, les rumeurs allaient bon train. Ce mardi 22 avril, le quotidien belge Het Laatste Nieuws a levé le voile sur les contours concrets du projet « One Cycling », qui s’apparente à une Super Ligue du cyclisme sur route. Imaginée sur le modèle controversé de la Super League de football avortée en 2021, cette nouvelle entité ambitionne de réunir les meilleures équipes mondiales dans une compétition fermée, indépendante des circuits classiques de l’Union Cycliste Internationale (UCI).
Porté par le fonds souverain d’Arabie saoudite, le PIF (Public Investment Fund), le projet entend bouleverser la gouvernance et l’économie du cyclisme. Son objectif : créer un circuit d’élite rentable, stable financièrement et pensé pour maximiser les revenus télévisuels et commerciaux. Une promesse qui séduit certains acteurs, mais inquiète tout autant.
250 millions d’euros par an pour changer la donne
L’argent est évidemment au cœur du projet. Le PIF propose d’injecter pas moins de 250 millions d’euros par saison dans cette nouvelle ligue. Chaque équipe engagée se verrait garantir un revenu annuel de 1 million d’euros, auquel pourraient s’ajouter d’importants bonus liés aux droits TV, au marketing et aux performances sportives. Si cette dotation peut sembler modeste au regard des budgets des grosses écuries – UAE Team Emirates, par exemple, disposerait de près de 60 millions d’euros – les promoteurs de One Cycling espèrent une montée en puissance rapide.
Dès 2029, ils misent sur une explosion des gains commerciaux, rendus possibles par une organisation plus lisible, plus spectaculaire et mieux marketée que l’actuel World Tour. Ils promettent aussi un meilleur partage des recettes, dans un sport où les coureurs et les équipes touchent très peu des bénéfices générés par les grandes courses.
Un calendrier à repenser
One Cycling ne se contente pas de vouloir organiser une nouvelle compétition. Le projet inclut également la création d’un calendrier propre, mêlant certaines courses historiques et de nouvelles épreuves pensées pour séduire un public international.
Dès 2027, quatre nouvelles courses seraient lancées : une en Arabie saoudite, bien sûr, mais aussi en Amérique et en Asie. L’objectif est clair : faire du cyclisme un sport global, attractif sur plusieurs continents et pas uniquement concentré sur l’Europe.
Sur le plan des alliances, le projet peut déjà compter sur des soutiens de poids. Les organisateurs belges de Flanders Classics, qui gèrent notamment le Tour des Flandres, sont favorables depuis les premiers échanges. Récemment, les Italiens de RCS Sport, à la tête du Giro, de Milan-San Remo et de Tirreno-Adriatico, ont aussi rejoint le mouvement. En revanche, Amaury Sport Organisation (ASO), qui détient les droits du Tour de France, Paris-Roubaix et Liège-Bastogne-Liège, refuse catégoriquement de participer. Une position qui complique sérieusement la légitimité d’une ligue sans la Grande Boucle.
Des équipes triées sur le volet
Le projet One Cycling compterait à ce jour onze équipes prêtes à s’engager. Parmi elles, on retrouve plusieurs formations prestigieuses comme Visma-Lease a Bike (de Jonas Vingegaard), Ineos Grenadiers, Soudal Quick-Step ou encore Decathlon-AG2R La Mondiale. Ces équipes misent sur la promesse d’une stabilité financière et d’une meilleure exposition mondiale.
Mais tous les grands noms ne sont pas au rendez-vous. UAE Team Emirates – aujourd’hui sponsorisée par les Émirats arabes unis – est absente, ce qui peut s’expliquer par les tensions diplomatiques entre les Émirats et l’Arabie saoudite. Alpecin-Deceuninck, où brille Mathieu van der Poel, ainsi que la Groupama-FDJ de Marc Madiot, ne figurent pas non plus dans la liste. Ce dernier a d’ailleurs toujours affiché son hostilité envers toute forme de ligue fermée, la jugeant contraire aux valeurs du cyclisme.
L’opposition d’ASO : un obstacle majeur
Au-delà des équipes absentes, c’est surtout le refus d’ASO de coopérer qui pourrait gripper les rouages de One Cycling. ASO organise les courses les plus prestigieuses et les plus regardées du monde. Le Tour de France reste l’épreuve incontournable pour les sponsors, les coureurs et le grand public. L’envisager en dehors d’un nouveau circuit, ou pire, comme une course rivale, paraît difficile à concevoir.
Le bras de fer est donc lancé. D’un côté, un consortium puissant, prêt à injecter des centaines de millions pour refaçonner le paysage cycliste mondial. De l’autre, un organisateur historique et central, qui refuse de céder aux sirènes du privé et qui défend une vision plus traditionnelle du sport. L’UCI, de son côté, reste prudente et n’a pas encore pris position officiellement.
Et maintenant ?
Selon Het Laatste Nieuws, l’annonce officielle de One Cycling pourrait intervenir juste avant le départ du Tour de France 2025, prévu du 5 au 27 juillet. Un calendrier qui n’a rien d’anodin. Ce timing viserait à couper l’herbe sous le pied d’ASO, et à capter l’attention médiatique au moment où le monde entier a les yeux rivés sur la Grande Boucle.
Reste à savoir si les promoteurs du projet parviendront à rallier de nouveaux soutiens dans les prochaines semaines. La bataille s’annonce rude. Entre rupture assumée et conservatisme revendiqué, c’est peut-être l’avenir du cyclisme professionnel qui se joue.