Pratiqué par des millions de personnes à travers le monde et suivi par une audience colossale, l’e-sport rêve d’un jour franchir la porte des Jeux Olympiques. Mais ce rêve se heurte à des résistances tenaces. Entre volonté de reconnaissance, enjeux économiques et questions de légitimité, la place de l’e-sport dans le mouvement olympique fait débat.
Un phénomène mondial
L’e-sport est aujourd’hui une industrie florissante. En 2024, les revenus globaux du secteur ont dépassé les 2 milliards d’euros, et les compétitions attirent parfois plus de spectateurs que les plus grandes finales sportives. Les jeux les plus populaires — League of Legends, Counter-Strike, Dota 2, Fortnite — rassemblent des communautés planétaires.
Les joueurs professionnels, véritables athlètes numériques, s’entraînent plusieurs heures par jour, suivent des régimes alimentaires, des préparations mentales, et bénéficient d’un staff médical. Leur vie ressemble, à bien des égards, à celle d’un sportif de haut niveau. Mais suffit-il de cocher ces cases pour entrer dans la prestigieuse famille olympique ?
Des freins culturels et institutionnels
L’un des principaux arguments des opposants est que l’e-sport ne repose pas sur une performance physique observable. Le CIO (Comité international olympique), fidèle à ses critères historiques, valorise les disciplines impliquant une dépense d’énergie corporelle et une expression motrice.
De plus, les jeux vidéo ne sont pas perçus comme universels : certains sont violents, d’autres dépendent d’éditeurs privés qui en contrôlent les règles, les formats et les droits de diffusion. Cette dépendance à l’industrie soulève des questions d’indépendance et de pérennité, peu compatibles avec l’esprit olympique.
Enfin, l’e-sport est encore jeune. Il peine à s’imposer dans certaines générations plus traditionnelles, qui voient dans les jeux vidéo une activité récréative plus qu’un sport à part entière.
Une reconnaissance en progression
Malgré tout, les lignes bougent. En 2017, le CIO a reconnu l’e-sport comme une « activité sportive » à part entière, à condition qu’elle n’enfreigne pas les valeurs olympiques. Depuis, plusieurs initiatives ont vu le jour : tournois e-sport en marge des JO de Tokyo, Olympic Esports Week à Singapour en 2023, partenariats entre fédérations sportives et plateformes de jeu.
En 2021, la Fédération internationale cycliste a même organisé un championnat du monde de cyclisme virtuel sur la plateforme Zwift. Et en France, certaines fédérations — comme celle de tennis ou de judo — commencent à intégrer l’e-sport dans leurs projets pédagogiques.
Une discipline générationnelle
L’e-sport parle aux jeunes. Il est devenu un vecteur de sociabilisation, d’engagement et même d’émancipation pour de nombreux adolescents. À l’heure où les JO cherchent à se rajeunir (on pense au breakdance ou au skateboard), intégrer l’e-sport serait un signal fort envoyé aux nouvelles générations.
Pour les marques, les diffuseurs, et les sponsors, l’intérêt est aussi économique. Les audiences sont massives, les communautés très engagées, et les possibilités de monétisation nombreuses. Le CIO le sait, et commence à ouvrir la porte… prudemment.
Une question de temps ?
L’entrée de l’e-sport aux JO ne semble plus relever de l’utopie, mais de la stratégie. Il faudra surmonter les réticences, instaurer un cadre éthique, garantir une équité entre les jeux et les joueurs, et surtout, bâtir une gouvernance stable et crédible.
Ce chantier prendra encore quelques années. Mais dans un monde en constante mutation, où les frontières entre réel et virtuel s’estompent, l’e-sport est peut-être le prochain chapitre d’une histoire olympique en quête d’avenir.